La fontaine de l’ange de Vienne

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La première fois que je vis cette fontaine, j’étais stupéfaite. Je me baladais le long de la Wiedner Hauptstraβe, dans le 4ème arrondissement de Vienne, quelque peu perturbée par les va-et-vient des voitures et des tramways, quand je tombai sur une fontaine que je n’avais point vue venir. Elle illumina d’un coup ma promenade, dégagée de la rue sur sa petite placette, à l’ombre d’un bel arbre et devant un café viennois traditionnel. Une délicieuse jeune fille sculptée la surmontait. « Un ange » me dis-je alors. Je m’approchai de l’écriteau qui l’accompagnait et y lus « Engelbrunnen » (Fontaine de l’ange). C’était donc bien cela ! Je restais tout de même interpellée par les deux hommes qui s’étaient retrouvés attachés à ses pieds et dont le rôle était de déverser (ou plutôt cracher) l’eau dans le bassin de la fontaine. Il me fallait faire quelques recherches.

Surprise ! Il ne s’agit point d’un ange, mais d’une simple jeune fille. Le nom « Engel » est en effet celui du commanditaire de l’ouvrage, Viktor Edler von Engel. Avec un nom pareil, je comprends que ce fonctionnaire du ministère de la guerre sous l’Empire ait eu envie de laisser quelque chose en dur à la postérité. Il avait en effet prévu 40 000 couronnes dans son testament pour que les services publics érigent une fontaine, qui fut inaugurée en 1893.

Le sculpteur tchèque Antonín Pavel Wagner obtint cette tâche et décida de transcrire dans la fonte une légende de Wieden (arrondissement de la ville de Vienne depuis 1850), celle du « Waldteufel » (le diable des bois).

A la fin du Moyen Age, un diable voleur sévissait chaque nuit vers le Wienerberg, alors campagne des alentours de Vienne. Elsbeth, 18 ans, fille d’un tonnelier de Wieden, se vanta auprès de trois ouvriers de savoir où se trouvait l’auberge du moulin, dont l’aubergiste était le complice de ce diable, et qu’il lui fallait trois hommes valeureux pour l’aider à arrêter ce vilain. Ces derniers, conquis par l’intelligence qu’ils semblaient voir en elle, la suivirent. C’est ainsi que le lendemain matin, très tôt, ils prirent la route pour Wiener Neustadt, ville au sud de Vienne. Le père d’Elsbeth, remarquant que son rayon de soleil avait disparu, se mit à la chercher dans toute la ville, assemblant quelques informations sur ce curieux départ. Cette dernière, arrivée à Wiener Neustadt, se rendit chez un orfèvre ami de son père afin qu’il lui prête une magnifique chaise capable d’emprisonner celui qui viendrait à s’asseoir dessus. Sur la route du retour, Elsbeth crut reconnaître le moulin du diable. Elle alla ainsi demander à l’aubergiste d’y passer la fin de la nuit. Alors qu’elle était bien installée dans sa chambre, le valet de l’auberge surgit, lui apportant de quoi se restaurer. Elle sentit que derrière ce valet se cachait le fameux diable. Ce dernier, très curieux, voulait savoir ce qu’elle cachait par terre sous une couverture. Elle l’invita à la soulever et lui expliqua qu’il s’agissait d’une chaise de grande valeur, et que c’est pour cela qu’elle ne souhaitait point la laisser dans sa charrette. Cherchant à satisfaire l’envie du diable, elle l’invita à y prendre place. Celui-ci se trouva d’un coup prisonnier de son savant mécanisme tentaculaire. Elsbeth appela de suite ses compagnons et ils arrêtèrent l’aubergiste, complice de ce diable. Ainsi triomphants avec leurs deux prisonniers, les quatre compères firent leur entrée dans Vienne et le temps de rejoindre l’atelier de son père, une foule s’y était déjà massée. C’est ainsi qu’Elsbeth acquit le titre de sauveuse de Vienne !

Le diable et son complice sont donc les deux hommes enchaînés aux pieds de cette âme valeureuse de Wieden, qui pourrait d’ailleurs bien être un ange ! Vous verrez que ce diable a une allure on ne peut plus humain. C’est bien son âme qui est endiablée. Il s’agirait d’ailleurs d’Hans Aufschring et de son complice, deux voleurs exécutés le 24 janvier 1371 sur la place de Hoher Markt. Des faits avérés ont en effet toujours servi à construire des légendes et celle-ci en est un bel exemple.

Une seule chose à faire, s’approcher une fois de bon ou de nouveau de ce joli monument de la Wiedner Haupstraβe.

 

Source : Klemens Zens, Wien in Sage und Legende, Vienne, Birken, 1955

 

Informations pratiques

Mais où est-elle exactement ? Au 55 de la Wiedner Hauptstraβe, au croisement avec la Schaumburgergasse.

Et comment s’y rendre en transports en commun ? Les lignes 1 et 62 du tram ainsi que le train urbain pour Baden passent devant (Arrêt : Mayerhofgasse). La ligne de bus 13A (Arrêt : Johann-Strauβ-Gasse) est à 3 minutes à pied et la ligne 1 du métro (Arrêt : Taubstummengasse) à 5 minutes.

 

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