La colonne gothique de la Triester Straße

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S’il vous est arrivé d’emprunter la Triester Straße de Vienne, vous l’avez forcément remarquée. Cette colonne de style gothique très décorée semble être sortie de terre comme par enchantement dans cet environnement plutôt terne. En réalité, c’est plutôt son environnement bâti qui a poussé autour d’elle puisqu’elle fut construite à cet endroit au XVème siècle, à la place d’une croix en bois dont la première trace écrite remonte à 1296.

Un endroit stratégique

La colonne se trouve au sommet du Wienerberg (cette petite montagne qui ferme Vienne au sud) et le long d’un axe de communication très ancien et très emprunté. A l’époque de sa construction, il faut s’imaginer qu’elle se trouve en pleine campagne et qu’elle marque une forme d’entrée sur Vienne, notamment par le point de vue qu’elle offre sur la ville. On est ainsi situés à un endroit qui peut se révéler très stratégique. C’est bien pour cela qu’y fut installé non loin un très grand gibet, lieu où les condamnés à mort étaient pendus ou subissaient le supplice de la roue. L’histoire de la croix devenue colonne se confond donc avec celle de cette installation des plus sordides. Les corps des suppliciés y restaient pendus pendant des jours à la vue de tous et servaient de nourriture aux oiseaux charognards. C’était là une manière de rappeler à tous ceux qui voulaient pénétrer dans la ville de Vienne qu’il valait mieux bien se comporter. Le dernier qui fut condamné à mourir sur ce gibet fut Georg Ratkay en 1868. Même si la colonne pieuse représentait aussi le salut de l’âme, elle restait pour beaucoup un symbole très négatif. Elle fut ainsi très régulièrement dégradée et détruite, notamment à plusieurs reprises par des révoltés hongrois et des assiégeants ottomans. Ses derniers ennuis remontent aux bombardements de 1945, comme une grande partie de la ville.

Une colonne richement sculptée

Approchez-vous de la colonne pour voir à quel point elle est ouvragée. Son style et son répertoire remontent à 1452 et sont l’œuvre d’un des plus grands sculpteurs de l’époque, Hans Puchsbaum, maître au chantier de la cathédrale Saint-Etienne, et de Laurenz Spenning. Derrière ses élégants pilastres, rappelant l’architecture gothique de la cathédrale, on entrevoit des scènes finement sculptées de la Passion du Christ, de sa Flagellation à sa Crucifixion. Au pied de la colonne, nous sommes loin d’être à hauteur des personnages, mais certains détails ne peuvent nous échapper.

Quelqu’un qui vous tire la langue !

Un nom énigmatique et une légende

En allemand, la colonne se prénomme « Spinnerin am Kreuz », ce que l’on pourrait traduire en français par la « fileuse de la Croix ». Une fileuse est une femme qui file de la laine, activité très médiévale (surtout dans notre imaginaire), et la Croix évoque celle du Christ et donc la construction en elle-même, point de repère pour s’orienter sur les chemins et les routes. Pourquoi cette colonne fut ainsi baptisée ? On ne le sait pas, et on ne le saura jamais. Toutefois, pour celles et ceux en quête d’une réponse sensée, la « fileuse de la Croix » a bien évidemment sa légende, que je souhaite vous conter.

Il nous faut pour cela remonter le temps. Nous sommes au XIVème siècle. Un jour, un messager de l’archiduc d’Autriche se met à courir à travers les rues de Vienne en agitant une cloche pour annoncer une nouvelle des plus importantes. On raconte que les Ottomans auraient pris la Terre Sainte. Ainsi, tous les hommes souhaitant partir en croisade pour libérer la Terra Sainte sont priés de se faire connaître. Les hommes ne souhaitant pas partir devront quant à eux payer de fortes sommes pour financer la croisade. Les célibataires y vont ainsi de bon cœur (ou presque) et ceux qui avaient femme et enfants essayent d’opter pour la participation financière. C’est le cas d’un jeune homme qui venait de se marier trois jours auparavant. (Nous n’avons pas les prénoms ! Même pas un Jean ou une Marie). N’ayant pas suffisamment d’argent pour rester à Vienne, il se résout à partir en croisade. Au moment du départ, sa jeune épouse décide d’accompagner le convoi de croisés jusqu’en haut du Wienerberg où se trouvait alors une Croix en bois. C’est à cet endroit qu’elle dit au revoir à son mari. Elle reste ensuite longtemps assise sur un banc jouxtant la Croix pour tenter de se remettre de cette séparation. Quelques jours plus tard, elle vend sa petite maison pour s’acheter un rouet (instrument doté d’une roue qui servait à filer la laine) et s’installe avec tous les jours au pied de la Croix pour filer la laine (on tient là notre fileuse de la Croix !). Avec l’argent qu’elle gagne en filant, elle projette de faire édifier un monument en pierre à la place de la Croix en bois, en se disant qu’une fois la construction terminée son mari lui reviendra. Tous les gens des environs la connaissent et la surnomment déjà « Spinnerin am Kreuz » (la fileuse de la Croix). On parle aussi beaucoup d’elle à Vienne et nombre de jeunes gens viennent jusqu’au Wiener Berg pour l’apercevoir en chair et en os. Mais elle ne parle à personne, sauf à celles et ceux qui lui sont étrangers et qui arrivent par le sud. Elle leur demande toujours s’ils ont vu son mari. Les gens, touchés par sa peine, lui achètent souvent sa laine, et à bon prix. Ainsi, deux ans plus tard, la jeune femme passe commande pour le monument en pierre. Le maître d’œuvre lui dit que la construction coûte bien plus cher mais qu’elle aura pour sûr l’argent par son travail une fois les travaux achevés. Un an plus tard, c’est bien le cas, et l’argent qu’elle gagne désormais est réservé à son mari. Nous sommes donc trois ans après la séparation, et un jour, elle voit au loin un énorme nuage de poussière arriver du sud. Il s’agit des croisés qui sont de retour. Tous passent au pied d’elle et la regardent, mais aucun n’est son mari. Elle pleure. Elle pleure toutes les larmes de son corps. Au moment de rentrer chez elle, elle voit un homme ayant du mal à marcher, maigre, pâle, avec une longue barbe et qui tente de rejoindre lui aussi la ville. Elle le fait asseoir sur une marche et alors qu’elle veut lui demander s’il a vu son mari, elle le reconnaît. C’est lui son mari, cet homme rentré épuisé de croisade. Ils rentrent ainsi ensemble à la maison et tout Vienne se met alors à raconter que la « fileuse de la Croix » a retrouvé son mari ! (Sacrée leçon de persévérance et de fidélité !)

Informations pratiques

Adresse : Triester Straße 56

Comment s’y rendre ?

L’arrêt de la ligne de tram 1 précédant le terminus « Stefan-Fadinger-Platz » est tout près, tout comme l’arrêt Altdorferstraße de la ligne de bus 15A (5 minutes de trajet depuis la gare et station de métro U6 Meidling).

Pour les cyclistes, notez qu’une piste cyclable passe au pied de la colonne.

Bibliographie : La légende est extraite de l’ouvrage Wiener Sagen de la Wiener Pädagogischen Gesellschaft de 1922.

Articles sur des découvertes à faire dans les environs

L’étang du Wienerberg : le lac de Vienne

Le tour de Vienne à pied (rundumadum)

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